La vision blockchain de Eva Kaili, VP du Parlement Européen – Cointerview#1

Pour le lancement de sa nouvelle rubrique Cointerview qui interviewera des membres influents de l’écosystème Crypto et Blockchain, Coinpri a eu le plaisir de s’entretenir avec Eva Kaili, vice-présidente du parlement européen. Quel avenir pour les cryptomonnaies et la blockchain ? Qu’est-ce que la fameuse loi MiCa dont tous le monde parle ? Les Émirats Arabes Unis seront-ils les leaders de la blockchain d’ici 2030 ou l’Union Européenne gagnera-t-elle ? Toutes les réponses se trouvent ici, bonne lecture.

Qui est Eva Kaili, Vice-Présidente du parlement Européen?

Bonjour Eva, peux-tu te présenter aux lecteurs de Coinpri ?

Bonjour Yacine et merci de m’accueillir sur Coinpri.

Comme tu viens de le dire je m’appelle Eva Kaili et j’ai été élue en janvier 2022 vice-présidente du Parlement européen pour la seconde moitié de la 9e législature.

Je suis également la première femme à présider le panel C4AI (Centre for Artificial Intelligence) et le panel STOA (Science and Technology Options Assessment) dont le rôle est d’analyser les problématiques liées aux sciences et aux technologies

Une vice-présidente coincrètement, ça fait quoi ?

Eh bien beaucoup de choses, comme tu peux t’en douter, c’est un métier exigeant !

Cependant, de manière plus concrète, j’ai travaillé intensivement à la promotion de l’innovation en tant que force motrice du marché intérieur/unique numérique européen et j’ai été la rédactrice de textes législatifs dans les domaines de la technologie des plateformes en ligne, du Big Data, de la fintech, de l’IA, de la cybersécurité, ainsi que du programme EFSI2 (European Fund for Strategic Investments) InvestEU et de FuelEU Maritime. Eh bien évidemment, la raison de ma présence chez Coinpri : la Blockchain.

En plus de présider le C4AI et le STOA, mes responsabilités comprennent :

  • La stratégie d’innovation du Parlement en matière de Technologies de l’information et de la communication (TIC);
  • L’Informatique & les télécommunications;
  • Le système européen d’analyse stratégique et politique;
  • La responsabilité sociale des entreprises;
  • Le remplacement du président pour les associations d’entreprises, le Moyen-Orient et les organismes multilatéraux, y compris l’ONU et l’OMC.

Je suis également membre des commissions :

  • De l’industrie;
  • De la recherche et de l’énergie;
  • Des affaires économiques et monétaires;
  • Des budgets;
  • De la commission spéciale sur l’intelligence artificielle à l’ère du numérique;
  • De la commission d’enquête récemment créée sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus.

Enfin pour terminer ma longue liste, je suis également :

  • Rapporteuse pour le groupe S&D (Social & Démocrate) pour la législation sur la cybersécurité dans les institutions de l’UE et de la commission d’enquête Pegasus;
  • Membre de la délégation à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE (DACP);
  • Membre de la délégation pour les relations avec la péninsule arabique (DARP);
  • Membre de la délégation pour les relations avec l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (DNAT).

Ouah, en effet ! Du coup, comment on devient vice-président, il y a un parcours classique ?

Ahaa, déjà comme tu le sais, il faut être élu. Après nous avons tous notre propre parcours.

Me concernant j’ai un Bachelor en Architecture et en Génie Civile, ainsi qu’un diplôme d’études supérieures en affaires internationales et européennes.

Avant ma carrière politique j’étais journaliste et présentatrice de journaux télévisés en Grèce. J’ai ensuite été membre du Parlement grec de 2007 à 2012, puis j’ai été élue députée européenne.

Quel futur pour la blockchain en Europe, aux Émirats Arabes Unis et dans la région MENA ?

Quand as-tu découvert la technologie blockchain ?

J’ai découvert la technologie blockchain à ses débuts, lorsqu’il n’était question que de bitcoin et de cryptomonnaies. Curieuse de nature et ancienne journaliste, j’étais intriguée par cette nouvelle technologie. J’ai alors fait mes recherches pour m’instruire et en apprendre davantage tout en suivant comment celle-ci était perçue dans le monde.

C’était un voyage intéressant qui en plus de m’ouvrir l’esprit m’a fait prendre conscience de la puissance de la blockchain en tant qu’infrastructure et en tant que réseaux. J’ai alors compris qu’à la manière d’Internet, la blockchain transformera tous les marchés, toutes les entreprises et toutes les économies.

Et lorsque je vois la progression de la Blockchain aujourd’hui, j’ai le sentiment de ne pas m’être trompée. Celle-ci continue sa démocratisation et son évolution tout en créant des synergies avec d’autres technologies disruptives ainsi qu’en tirant parti des interactions homme-machine et machine-machine.

Tu l’as dit toi même, tu as fait tes recherches sur la technologie et ses origines. Il s’agit à la base d’une technologie libertaire, pourquoi faut-il donc la réguler ?

Sans trop m’avancer, je pense que nous sommes d’accord sur le fait que celle-ci peut avoir un impact considérable sur l’économie mondiale.

Nous devons donc réfléchir à quoi vont ressembler les nouveaux marchés dans les années à venir, au cadre organisationnel approprié dans cette nouvelle économie et au type de structures de marché à mettre en place pour rester technologiquement compétitifs et pertinents et générer une croissance inclusive proportionnelle aux attentes de la société.

La régulation, lorsqu’elle est bien utilisée, est un allié puissant pour répondre à ces problématiques.

Lorsqu’on pense régulation crypto en Europe, on pense à la loi MiCA, peux-tu nous expliquer son rôle ?

C’est en effet la loi la plus connue par les gens suivant de près la régulation des cryptos et de la blockchain en UE. Si nous en parlons autant c’est parce qu’il s’agit d’un jalon important pour l’UE et un modèle pour les autres juridictions.

Pour faire très simple, la loi MiCA est le premier ensemble de règles concret à être appliqué horizontalement en ce qui concerne les cryptomonnaies. Celles-ci traitent aussi bien des cryptoactifs que des stablecoins, des émetteurs de celle-ci ainsi que de la manipulation du marché et bien plus encore.

La loi MiCA met en place les normes mondiales de ce à quoi devrait ressembler une approche réglementaire du marché des cryptomonnaies, afin de créer un avantage concurrentiel pour le marché intérieur de l’UE.

La loi s’applique à toutes les entreprises de cryptomonnaies qui cherchent à opérer dans l’UE, indépendamment de leur localisation géographique.

Elle fournit un contexte juridique clair et transparent car elle s’adresse explicitement aux fournisseurs de services financiers blockchain qui sont, ou doivent être, des entités légalement établies pour être rapidement supervisées. Elle offre un régime de licence unifié, un « passeport », pour toute l’UE pour les PSAN (prestataires de services sur actifs numériques).

Cela signifie que toute entreprise titulaire d’une licence dans un État membre sera autorisée à offrir des services dans toute l’Europe, ce qui évite de devoir se conformer à 27 régimes individuels et différents.

Il est important de noter que la réglementation MiCA ne concerne pas les NFT, et ne s’applique donc pas aux artistes et à l’industrie créative, aux sports ou aux jeux, bien qu’elle prévoie certaines règles pour les NFT fractionnés qui sont échangés sur les places de marché.

De manière tout aussi importante, la loi inclut un ensemble de règles relatives à la manipulation du marché, qui définit et interdit des formes spécifiques d’abus de marché dans le domaine des actifs numériques, notamment les délits d’initiés, les opérations fictives et le front running…

Que penses-tu de l’effondrement de l’UST de Luna ? Avons-nous besoin d’une régulation sur les stablecoins algorithmiques et les stablecoins en général ?

L’UST, étant un stablecoin algorithmique, est considéré comme une part de l’écosystème DeFi, qui n’est pas couvert par la loi MiCA. C’était d’ailleurs la première critique reçue par les participants au marché lorsque le règlement MiCA a été présenté en septembre 2020.

Les stablecoins algorithmiques sont souvent associés à une cryptomonnaie spécifique et ne disposent pas d’actifs indépendants en réserve pour soutenir leur valeur, contrairement aux stablecoins classiques, qui eux relèvent du champ d’application de MiCA. De plus, la DeFi de part la nature décentralisée de ses applications n’a pas d’entités clairement identifiées. Ainsi, en cas de problème, nous ne pouvons pas faire endosser la responsabilité à une personne précise.

L’affaire du Luna est un bon exemple et les individus victimes de la perte de leurs actifs n’ont pas de recours.

Cette absence d’une « entité », nous amène à repenser notre approche quant à ce qui constituerait « l’entité » dans la DeFi car, quelle que soit l’architecture, la conception, le processus et les caractéristiques d’un produit ou d’un service, tout devrait toujours aboutir à une « personne responsable ».

À cet égard, la réglementation sera bien plus difficile dans la DeFi et nécessitera donc bien plus de temps.

Pourquoi la région MENA est-elle un allié puissant de l’Adoption de la Blockchain ?

La région MENA regroupe le Moyen Orient et L’Afrique du Nord. Elle est donc constituée d’un mélange diversifié de pays aux antécédents complexes et variés, de conflits et de disparités de richesse, mais est très riche en ressources, aussi bien naturelles qu’humaines.

En utilisant la blockchain, la région peut faire face aux obstacles qui entravent l’intégration régionale, peut aider à tirer parti des ressources et soutenir l’inclusion, la cohésion et le développement régional.

D’un point de vue géopolitique, nous pouvons actuellement observer des différences dans les niveaux de développement et d’adoption de la blockchain dans la région MENA. Néanmoins, je pense que cela va changer et que la technologie sera adoptée par tous les pays de la région MENA.

Lorsque l’on pense Blockchain et MENA, on pense rapidement à Dubai, Abu Dhabi et aux Émirats Arabes Unis (UAE).

Effectivement et c’est normal, les Émirats Arabes Unis et plusieurs états riches du Golfe sont les plus avancés dans la technologie blockchain, et sont donc responsables de l’innovation, des investissements dans les nouvelles startups et des politiques progressistes qui permettent la création de communautés autour de la technologie.

Cependant, les cas d’utilisation de la blockchain lancés par ces États avancés, tels que le système de paiement MenaPay qui utilise la Blockchain, bénéficient et fonctionnent au niveau de la région, contribuant à combler ces écarts et à réaliser une transformation holistique et inclusive de tous les pays de la région MENA.

L’objectif des UAE est clair : Devenir la capitale mondiale de la blockchain et des cryptos en 2025/2030. Tu penses qu’ils y arriveront ? Quid de l’UE ?

Excellente question et c’est effectivement leur ambition. Il faut déjà savoir que lorsque l’on parle des cryptomonnaies, le Moyen-Orient est l’un des marchés avec la croissance la plus rapide au monde. Celui-ci représente plus de 7 % des volumes d’échanges mondiaux et un pays s’est particulièrement imposé dans ce marché : les Émirats Arabes Unis.

Les UAE se sont imposés dans la région MENA comme l’un des pays les plus riches et les plus avancés sur le plan technologique et possède un énorme potentiel pour devenir un centre régional d’innovation des entreprises et bien entendu d’innovation Blockchain.

Le pays a lancé dès 2018 sa stratégie Emirates Blockchain 2021 dont le but était transférer 50 % de leurs transactions vers une infrastructure blockchain d’ici 2021 et de devenir le premier pays à adopter la blockchain au-delà du secteur financier. En allant au-delà du secteur financier, il a démontré le cas d’utilisation impressionnant de l’entreprise pétrolière Abu Dhabi National Oil Company qui a piloté un système basé sur la blockchain en collaboration avec une multinationale privée pour suivre automatiquement les quantités et les transactions parmi ses sociétés d’exploitation.

Dans le même ordre d’idées, Dubai a rapidement mis en place sa stratégie Blockchain avec le premier tribunal de la Blockchain au monde, le portail de paiement en ligne DubaiPay, le projet de Route de la soie numérique de Dubai et, l’Émirat a récemment lancé sa stratégie Metaverse.

Il est donc possible qu’ils y arrivent.

Du côté de l’UE, qui est un immense marché intérieur, elle a également progressé de manière rapide vers l’adoption de la blockchain dans le secteur financier et même au-delà.

La résolution sur la blockchain qui a été votée à une majorité sans précédent, tout comme en 2018 et dont j’étais la rapporteuse pour le groupe S&D, visait à créer une base de certitude juridique et institutionnelle pour permettre à la blockchain de s’épanouir au sein du marché intérieur de l’UE, afin de faciliter la création de places de marché blockchain et ainsi faire de l’Europe le meilleur endroit pour les entreprises blockchain.

C’est d’ailleurs cette résolution qui a incité la Commission Européenne à rédiger et à présenter en 2020 les propositions de régime pilote DLT et des marchés des cryptoactifs, reflétant les principes de neutralité technologique et de neutralité du modèle économique, qui sont essentiels pour faciliter l’adoption d’une technologie numérique d’une importance stratégique cruciale.

Dans un contexte plus pratique, l’UE teste également des pilotes de blockchain dans le cadre du Partenariat européen pour la blockchain (EBP), une initiative visant à développer une stratégie européenne sur la blockchain et à construire l’infrastructure européenne de services de blockchain (EBSI) pour le secteur public, et à accélérer l’innovation en matière de blockchain et le développement de l’écosystème blockchain de l’UE par le biais de l’Observatoire et du Forum européen de la blockchain, une initiative de la Commission Européenne visant à consolider la position de l’Europe en tant que leader mondial dans cette nouvelle technologie transformatrice.

Tout en reconnaissant qu’il est aujourd’hui plus important que jamais de tenir compte de la dimension géopolitique mondiale et de l’effet de tout régime réglementaire éventuel concernant les nouvelles technologies, je pense qu’il est tout aussi important d’investir dans la coopération, la coordination et la convergence mondiales pour parvenir à la normalisation et à l’interopérabilité.

Dans ce contexte, je pense que nous devons plutôt nous assurer que la nouvelle économie numérique fonctionnera de manière transparente au-delà des frontières, en évitant la fragmentation et en favorisant l’inclusion. C’est ce que le Parlement Européen, et moi-même, visons à travers la DARP, la délégation pour les relations avec la péninsule arabique.

Au cours de la mission de mai 2022, j’ai eu la chance de rencontrer le Ministre d’État chargé du développement et de l’avenir du gouvernement des Émirats Arabes Unis, Son Excellence Ohood Khalfan Al Roumi et nous avons discuté de la blockchain, des actifs numériques, de Web3 et du metaverse.

La stratégie Metaverse de Dubai, récemment lancée, qui soutient le développement de la technologie Web3 dans les domaines du gouvernement, du tourisme, de l’éducation, de la vente au détail, du travail à distance, de la santé et du secteur juridique, tout en se concentrant sur la réalité étendue, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, la réalité mixte et les jumeaux numériques, est une excellente preuve de l’engagement des Emirats Arabes Unis à prospérer en tant que pôle technologique et économique en ce qui concerne le Metaverse.